mardi 11 juillet 2017

"Civilisé", de Walter Ruhlmann


Publié par les éditions Urtica, « Civilisé » de Walter Ruhlmann regroupe les poèmes issus du recueil qui donne son titre à ce livre, plus d'autres poèmes écrits entre 2005 et 2014.

« Civilisé », mais pas trop surtout, j'aurais envie de dire en lisant ces textes. Ou plutôt, civilisé à contrecœur, à cause d'un héritage pas toujours facile à porter, celui de la famille tout particulièrement, qui nous est plus ou moins commun à tous.

Car les poèmes publiés ici clament leur soif d'une vie intense, loin des codes, obligations sociales et toutes sortes de clichés. Une soif de liberté et d'aventures, bien entendu, qui est vécue comme quelque chose de sombre, par la faute des interdits amassés tout autour.

Il y a pas mal de sexe dans ces poèmes, des souvenirs de fêtes sombres, des portraits de femmes aussi, des souvenirs de mort familiales.

J'aime, en tant que lecteur, cette ambiance crépusculaire et ce sentiment d'urgence qui s'échappe de ces vers.

L'image de couverture est de Norman J. Olson.

Extrait de « Civilisé », de Walter Ruhlmann :

« Famille

La famille craint la fin,
elle suinte la peur ;
elle geint, elle pleure,
elle fait tout pour dramatiser.

Théâtre ambulant,
portes qui claquent,
paires de claques,
fouet, martinet.

Les fils électriques
une ombre ecclésiastique,
les démons et les ogres
déferlent, frappent et cognent
sur le fils éclectique.

Mais la famille relie
le fils indigne,
l'enfant prodigue -
celui fabriqué de ton sperme -
à tes tuyaux, tes souffles, tes yeux, ta peau.

La famille ferme les portes à l'espoir,
l'optimisme n'est pas de rigueur ;
la rigueur est tout ce qu'elle a à cœur
et son credo,
son hymne,
son fait,
se résume à la règle de l'endurance,
de marche ou crève,
du pain rassis et des souffrances
affrontées et digérées.
Endurées. »

Pour en savoir plus sur « Civilisé », de Walter Ruhlmann, qui est vendu au prix de 7 €, contact  : wruhlmann@gmail.com

lundi 10 juillet 2017

"Les agrès du plaisir", de Robert Roman


Publié par les éditions du Contentieux, « Les agrès du plaisir », de Robert Roman est consacré au sexe très brutal. 

Peut-être inspiré par des photographies d'un monde post-industriel (merci les usines fermées...), les textes qui composent « Les Agrès du plaisir » - une nouvelle et trois brefs pavés en prose (des « embuscades ») - semblent se dérouler dans ces lieux d'outre-tombe, voués à la mort autant qu'au plaisir, destinés à de véritables séances de torture en même temps que de plaisir.

Politiquement pas très correct, « Les agrès du plaisir » remplit son objectif : décrire les choses sans y mettre du romantisme, ou alors, il sera très gothique. Quant à savoir s'il y a là-dedans de l'humour au dixième degré ou pas du tout, je vous laisse juges.

Extrait de « les agrès du plaisir », de Robert Roman :

« Deuxième embuscade

Tapis. Deux experts du fondement. Un couple de narines aux frémissements dilatés. Grand écart animal. Chutes d'airain . Nombrils en creux. Une envie de starting-block à l'extrémité des talons. La sueur se déplace dans le repli des peaux. Le mascara vacille. Titube un vagabond nocturne. Son air penché a séduit. Feu ! Nos sloughis s'élancent. Placage en règle et bâillon de rigueur. Les haillons dispersés se tendent vers les étoiles. Des doigts de fer se vissent dans le fessier. Un dard anxieux féroce le passage, visite les muqueuses, possessionne l'intérieur, travaille l'empalement. Le rouge et le blanc s'entremêlent dans un tournoiement de filaments Mouvement de croupes. Le premier se rétracte. Le vagabond, allégé ; esquisse un regard de plaisir. Son orifice murmure une prière secrète. Le second l’enfourche et l'exauce. E pal devient câlin, sa semence, une douceur. Retrait. Son postérieur déborde. Ils ont disparu.

Un vent chaud souffle dans on entaille. »

L'illustration de couverture est de Pascal Ulrich. Les photographies des pages intérieures sont de l'auteur.

Pour en savoir plus sur « Les agrès du plaisir », de Robert Roman, qui est vendu au prix de 5 €, contact : romanrobert@gmail.com

mercredi 5 juillet 2017

« Alpha-bêêê », de Sébastien Kwiek


Publié par les éditions « La chouette imprévue », « Alpha bêêe », de Sébastien Kwiek, n'est pas un recueil de poèmes, comme on aurait pu s'y attendre dans ces chroniques, mais une « fable théâtrale ».

De plus, comme précisé en quatrième de couverture, « Alpha bêêê » ne comprend pas tous les ressorts d'une pièce de théâtre, dans le sens classique du terme. Il n'y a pas d'histoire, pas de personnages identifiés.

En fait, chaque tableau de cette fable théâtrale comprend un titre dont la première lettre suit l'ordre de l'alphabet. Ce livre est composé de 26 parties distinctes entre elles, sans ordre chronologique. Et chaque personne qui s'exprime est simplement nommée d'une lettre (celle de la lettre de l'alphabet qu'elle illustre), et d'un chiffre, par exemple A1.

Cependant, derrière cette apparente disparité de fond (aux dépens de la forme) qui semble caractériser « Alpha bêêê », ce livre possède une véritable unité thématique.

En effet, chacun des tableaux décrit une situation de travail, dans laquelle, au nom de la concurrence et de la maximalisation des profits économiques, l'humain est ravalé au rang de chose, elle-même désignée par cette lettre et ce chiffre, ou de… mouton !

Sont ainsi mises en scène un accident de travail, un licenciement, une écoute psychologique, cette dernière constituant le mince lot de consolation face à la violence au travail, à moins qu'il ne s'agisse de cette fameuse pantoufle, représentée à la une de couverture, très joli bien de consommation.

En résumé, « Alpha bêêê » de Sébastien Kwiek, résume bien les problèmes très actuels qui touchent notre société et contre lesquels il serait bien que l'on se batte. 

Les illustrations (dont celle de couverture) sont de Fabian Lemaire.

Pour en savoir plus sur « Alpha bêêê », de Sébastien Kwiek, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.lachouetteimprevue.com/

lundi 3 juillet 2017

"Deux", de Philippe Jaffeux



Il est des livres qui sont faciles à lire et je ne les aime pas toujours, les trouvant trop superficiels.
Il est des livres qui sont difficiles à lire et que je n'aime pas lire, car ils sont tout simplement illisibles, expérimentaux pour le plaisir de n'être pas compris et d'en foutre plein la vue aux profanes.
Et enfin, il est des livres qui valent la peine d'être lus, même s'ils sont difficiles à lire.

« Deux », de Philippe Jaffeux, publié par les éditions Tinbad, appartient pour moi à cette dernière catégorie de livres.

Comme toujours chez l'auteur, il s'agit d'une suite de phrases qui peuvent être lues dans le désordre, même si elles sont dites par deux personnages n°1 et n°2 et même si elles sont destinées au théâtre, comme précisé sur la couverture.
Le temps est ici circulaire, c'est celui de l'informatique, de l’immatériel. Il n'y a ni passé, ni futur, le temps se contente de s'enrouler sur lui-même.

À l'infini, presque, les deux personnages parlent de l'absence de ce Il. Très vite, bien entendu, le lecteur comprend que ce Il n'apparaîtra jamais, tel un Dieu, seul point commun avec lui, en l'absence de toute transcendance.

C'est pour cette raison que ce texte m'a parfois fait penser au « génie » d'Arthur Rimbaud, dans son énonciation. Il est celui qui peut tout faire, même si finalement, il ne fait rien, cette certitude amusante se renforçant au fil des pages.

Et finalement, cette absence de « Il », n'est pas un problème, car l'important, c'est que le « Nous » apprend très vite à se situer par rapport à ce « Il ». Malgré ses incapacité (aphasie) et immatérialité (alphabet comme seule image à offrir), le « Nous » acquiert sa dynamique dans ses interlignes, ce qui fait de l'ensemble de ce livre quelque chose de lumineux.

Dans ce dialogue à bâtons rompus qui s'étale sur deux cent trente pages, j'ai juste regretté les quelques phrases bâties sur des répétitions d'assonances, le lecteur ayant l'impression qu'elles ne relèvent que de la virtuosité du jeu de mots.

Il n'en demeure pas moins que se dégage de ce livre une richesse presque invraisemblable. La phrase, en nous entortillant avec elle, exprime à elle seule le tout du monde. Ce livre est une mine de formules, dont aucune ne peut se dégager par rapport aux autres, puisqu’il s'agit du résultat de l'instant : recomposition continue et instantanée d'un monde, malgré l'absence.

Extrait de « deux », de Philippe Jaffeux :

« N°1 : Ses lettres sont des organes qui sentent le point commun entre nos yeux et nos bouches. Nous habitons les voyages d'une parole qui ressemble à une image de notre hôte. Il déconstruit notre représentation parce que nous intégrons nos visions au moment de sa transparence.

N°2 : Le creux de nos existences s'organise autour d'un vide qui caricature son absence. La peau de notre langue recouvre la sensibilité de nos voix avec ses désirs inaudibles. Nos yeux musclent l'écoute d'un aveuglement qui répond à son aphasie éblouissante. »

Si vous souhaitez en savoir plus sur « Deux », de Philippe Jaffeux, qui est vendu au prix de 21 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.editionstinbad.com/ 

"Le crématorium inutile", de Valéry Molet


Premier recueil publié par Valéry Molet, en l’occurrence aux éditions Ex Aequo, avec « Le crématorium inutile » (rein que le titre, déjà, m'a titillé), je me suis senti en terrain connu.

En effet, j'y retrouve certaines des caractéristiques des poèmes que j'ai pu écrire il y a quelques années : goût des images poétiques, joli regard critique sur ce qui entoure l'auteur, et enfin, sensation issues de la fréquentation d'un sport (course à pied) et d'une ville (Vézelay) que je connais bien.

De manière générale, il s'agit dans ce livre d'impressions de vacances, de villégiature, qui se déroulent en divers endroits : mis à part Vézelay, l'Espagne, La Bretagne, Vincennes…

Il est question d'amour aussi dans ce livre, de l'amour d'un couple , plus précisément.

Cependant, la vacance de l'esprit fait ressortir le vide et donc l'inutilité de toutes choses, d'où cette ironie envers soi-même et cette distance envers l'autre, l'extérieur (humains comme paysages) qui, la plupart du temps, l'emportent, à mon sens.

Outre la richesse des images, « le crématorium inutile », de Valéry Molet vaut également par le sens des formules qui ressortent avec netteté, vous sautent à l'esprit, mélange de puissance lyrique (images) et concision de l'instant qui blesse.

Extrait de « Le crématorium inutile », de Valéry Molet :

« Dans l'horreur de l'été

L'été appartient aux pauvres gens
Le bruit s'extasie en sandalettes
Les orteils bringuebalent dans les bistrots
Les chevaux-vapeur scalpent les cervelles ornant
Leurs chiens de prénoms d'acteurs américains
L'univers est un panneau signalétique prévenant de la sortie d'engins,
Une chose insignifiante comme la biographie d'un auteur,
De l’humour noir comme un soleil aux teintes
tanniques.

Les couloirs aériens mécanisent les nuages
Chaque avion est lourd
La lune s'amincit ans sa gaine de gazole et de nuit
Le raffut des tracteurs admoneste les champs
insonores
Emblavés d'essence et butés de blés.

Et pourtant le petit Joseph s’épanouit
Avec ses yeux de cidre et de cassis
Son visage a une mine de limace après al pluie
Et ma femme discerne l'amour enfin crû
Tandis que nos deux vies dessinent une voûte en
arc de cloître
Et que les berceaux nous enferment et nous libèrent
tout à la fois.

Il n'y a plus que nous, parfois,
Qui formons une natte imparfaite
De cheveux gris et d'amour
Que le crépuscule maltraite
Comme l'océan deux-pieds droits
Peu importe si la nuit commue le jour en jour. »

Si vous souhaitez en savoir plus sur « Le crématorium inutile », de Valéry Molet, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.editions-exaequo.fr/