vendredi 19 mai 2017

« Un récit », de Chloé Landriot

Édité dans la collection Polder de la revue Décharge (supplément au numéro 174), « Un récit » est le premier recueil publié de Chloé Landriot.

Ce texte est en fait un récit primordial, celui de la genèse des éléments qui composent la terre : pèle-mêle, air, minéraux, eaux, végétation, arbres, bêtes et êtres humains (d'autres bêtes un peu spéciales).

À cet égard, je précise que ce récit n'est pas religieux, mais plutôt athée. Et d'ailleurs, ça se gâte quand l'homme a voulu se rendre maître de la terre et de la vie, à l'ère de raison, grâce à la science, ce qui nous rapproche dangereusement de notre aujourd'hui.

Après une illustration couleur qui symbolise la destruction de toute vie par les eaux, « Un récit » s'achève sur une note à la fois pessimiste et optimiste, car la fin des anciens hommes, c'est le début des nouveaux, dont on peut encore espérer quelque chose.

Dans sa préface, Jean-Pierre Siméon a raison de souligner le lyrisme de cette poésie. Cela me semble, en effet, caractériser le style de Chloé Landriot. Quelque chose d'ample aussi, de confiant en la nature, qui avance, sans être brisé dans son élan.

Extrait de « Un récit » :

« Nous avons été des arbres
Et le temps pour nous n'avait pas la même
    couleur

De notre apparition il n'est nul souvenir
Nul ne dit notre histoire
Pourtant chacun la sait au plus profond de soi

Nous avons été des arbres
Sans effort nos racines
Ont lentement plongé dans le sol
Faites pour épouser pour embrasser la terre
Pour l'étreindre sans fin au-delà de la vie -
Jusque dans notre mort nous épousons la terre
Amants indéfectibles - (...) »

Les illustrations (dont celle de couverture) sont de An Sé.

Si vous souhaitez en savoir plus sur « Un récit » de Chloé landriot, qui est vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.dechargelarevue.com/La-collection-Polder-.html

lundi 15 mai 2017

"Le far West est un cimetière comme un autre", de Fabrice Marzuolo


Autoédité sur Amazon, "Le Far West est un cimetière comme un autre", de Fabrice Marzuolo est un recueil de neuf nouvelles qui, à mes yeux, vaut vraiment la peine d'être lu.

Rien que le le titre déjà !

J'ai à plusieurs reprises rigolé en lisant ces portraits de perdants solitaires, résolument perdants, résolument solitaires, mais qui connaissent toujours leur unique instant de liberté.

J'ai été surtout bluffé par ces jeux de mots qui sont autant de raccourcis spatiaux et temporels, et qui retombent sur leurs pattes, résumant sans fard des vérités vraies, tellement vraies qu'on ne les lit pas souvent.

En voici un exemple (mais il y en a plein d'autres) :

"Il a eu une belle mort, je l'ai entendu souvent ce machin, mais après une moche vie, ce n'est pas un exploit non plus ! Surtout qu'une moche vie, même courte, c'est l'infini à côté d'une belle mort qui dure le temps d'un pet que t'as pas le temps de dire ouf ! Pourtant j'en connais moi des qui ont eu tout moche, tout le long, jusqu'au bout ! Je sais que ça me pend au nez, que c'est bien parti pour cette sale misère, et les autres le sentent aussi, quand ils me voient arriver, je devine combien ils ne voudraient pas prendre ma place, pour rien au monde - la belle affaire ! S'ils croient que je la voulais, moi, ma place !"

(extrait de "Le comptable").

Ou bien visez-moi le réalisme de ce portrait :

"Mais c'était Michel que j'avais vu réapparaître un jour, dans une impasse. Il n'avait pas l'air à la joie; des orbites de prof en arrêt de dépression; une gueule tout droit giclée d'un pinceau expressionniste; tendance cavalier bleu culbuté de sa monture; plus largement - giclée d'une de ces œuvres tombées sur le cubique, tant, que pour différencier la toile de la palette, faut être un fameux expert. Voyez mieux sa tête maintenant, non ?"

Pour les lecteurs qui préfèrent les légumes ramassés au cul du jardin que dans les rayons bios des supermarchés.

Et pour vous procurer "Le Far West est un cimetière comme un autre", de Fabrice Marzuolo, qui est vendu au prix de 10 €, tapez le nom de son auteur sur Amazon.

"Gengis Jobs", de Jean-Marc Proust

Publié par les éditions Rafaël de Surtis dans la collection "Pour un ciel désert", "Gengis Jobs", de Jean-Marc Proust, est résumé par son titre qui est une contraction de Gengis Khan et de Steve Jobs.

Ainsi, ce livre constitue le résumé de deux vies parallèles, en apparence éloignées l'une de l'autre, car se situant à deux époques différentes, le Moyen-Age pour Gengis Khan et l'époque contemporaine pour Steve Jobs.

De plus, elles montrent la vie d'un conquérant mongol, d'une part, et d'un chef d'entreprise informatique, d 'autre part.

Là où ça devient intéressant, c'est que Jean-Marc Proust montre que ces deux vies-là sont non seulement parallèles, mais aussi équivalentes.

Leur moteur est toujours le même : une soif de pouvoir insatiable, et volontiers destructeur, voire auto-destructeur : d'ailleurs, ces existences se terminent par deux morts, ou solitaire, ou prématurée.

Plus extraordinaire encore : elles se ressemblent souvent dans leur déroulement.

Ainsi, on le sait : les conquérants d'hier (pouvoir militaire) sont devenus les chefs d'entreprise d'aujourd'hui (pouvoir économique).

Pour donner à voir ce qu'il entend dire, Jean-Marc Proust procède par collages, s'inspirant de deux livres de Michel Hoang et Walter Isaacson.

Le résultat de cette démonstration est impitoyable :

"XXXVII

    "J'ai commis beaucoup de cruautés et j'ai fait tuer un nombre incalculable d'hommes sans savoir si c'était juste mais ce qu'on dira de moi m'est indifférent.
     C'est sûrement pour cela que je n'ai jamais aimé les interrupteurs on/off sur les produits d'Apple".

La postface, intitulée "Citizen Khan" est de François Huglo.

L'illustration de couverture est de Joële Fontaine.

Pour en savoir plus sur "Gengis Jobs", de Jean-Marc Proust, qui est vendu au prix de 15 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.rafaeldesurtis.fr/

mardi 9 mai 2017

« 30 poèmes », d’Étienne Paulin

Publié par les Éditions Henry, « 30 poèmes » d’Étienne Paulin est divisé en trois séquences, avec, en plus de celle qui donne son titre au livre, deux autres parties intitulées « Pneus Dieu » (une seule page) et « Vers la vraie pacotille ».

Par rapport aux précédents recueils de l'auteur que j'ai pu lire et chroniquer, je trouve dans ce livre davantage de dépouillement (la plupart du temps) et une préoccupation plus importante quant au sens du poème.

En dehors de cette préoccupation, dont je ne me sens pas forcément le plus proche, ces courts poèmes en vers libres, également courts, me font irrésistiblement penser aux petites villes de province.

En effet, ils se passent toujours dehors et de préférence l'été. Et l'espace entre les strophes correspond à toute la somme de vide qui est contenue en ces endroits : vide social, faute d'un aménagement complet du territoire, et puis évidemment, solitude, vide des apparences, du non-dit comme du non-vu.

Ces poèmes sont également traversés par la lassitude, avec quelquefois, des pointes de dérision comme, par exemple, dans ce poème :

« tes insurgés sont bons
et
puisqu'ils sont là
cours les aimer

cela fait une armée toujours

toi qui n'as pas idée
tu peux aller combattre »

Étienne Paulin me semble aussi être passé maître dans l'art des petites touches (d'ailleurs, il n'y a presque jamais de majuscules, ici) et de l'équilibre à trouver entre ces mots, qui sont noyés dans du vide.

Extrait de « 30 poèmes » d’Étienne Paulin :

« je suis au paradis de la tristesse. partout volète le temps mort
et le feu ne prend pas : il danse, il n'a pas pris.


l'amour et les larmes volages
sont morts         le vent les tape
biffe les rêves


l'été s'endort en quarantaine
le docteur dit tout vendre alors on vend tout


tout se passe
aux confins sans nous »

Si vous souhaitez en savoir plus sur « 30 poèmes », d’Étienne Paulin, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.editionshenry.com

« Le pays de l'enfant ocre », de Michèle Capolungo


Publié par les éditions Vagabonde, « Le pays de l'enfant ocre », de Michèle Capolungo, n'est pas, comme je l'ai cru d'abord, un recueil de poèmes, mais le récit autobiographique du retour de l'auteur à Madagascar (et dans une moindre mesure, au Vietnam).

Il s'agit donc beaucoup plus qu'un récit de voyage, car Michèle Capolungo part ici à la recherche de son passé, puisqu'elle a vécu durant son adolescence avec sa famille à Madagascar, ayant un père militaire.

Dans « Le pays de l’enfant ocre », la forme suit avec bonheur le fond. Évitant une progression trop linéaire, l’auteur mélange avec bonheur souvenirs et présent, dévoilant peu à peu ce qui fut sa vie en pays désormais étranger.

Et ses incertitudes viennent à la fois du passé et du présent, et plus particulièrement de l'approximation de ses souvenirs, à jamais en partie enfuis, ainsi que de sa difficile place à tenir vis à vis des autres.

En effet, les habitants de Madagascar ne voient en elle qu’une simple touriste, soit un « robinet d'argent », alors qu'elle voudrait appartenir encore à ce pays et à ses habitants.

Ces sentiments mélangés sont décrits avec finesse et justesse dans « Le pays de l'enfant ocre ».

Extrait de ce livre :

«   Je pressens déjà que ce retour ne m'octroie aucune place. Dépassée dans ce pays quitté depuis si longtemps, craignant tout écart colonialiste, je m'impose une posture compassée. Que sais-je de mon passé ?
   Quelques quarante ans plus tard, mes pieds foulent à nouveau le sol malgache et je guette une brise que je ne sens pas. »

Si vous souhaitez en savoir plus sur « Le pays de l'enfant ocre », de Michèle Capolungo, qui est vendu au prix de 8,50 €, rendez-vous sur le site de son éditeur : http://www.vagabonde.net

vendredi 5 mai 2017

« On dirait que le temps tourne en rond », de Charles Desailly

Prix des Trouvères 2017, Grand Prix de Poésie de la ville du Touquet (jurés lycéens), « On dirait que le temps tourne en rond », de Charles Desailly, publié par les éditions Henry, dresse le bilan provisoire d'une vie.

L'originalité de ce livre tient justement à ses forces d'opposition.

En effet, la première partie, intitulée « La tentation du temps zéro, l'enfance » décrit l'enfance comme un moment, sauf exceptions, merveilleux ou, du moins, poétique. Cette combinaison, bien qu'elle soit très bien rendue, n'est pas rare en poésie. Cependant, il est aussi rare que l'enfance soit connotée de manière négative.

Malgré tout, avec les deuxième et troisième parties, intitulées respectivement « L'épreuve du désir » et « Les heures épuisées », le bilan positif semble s'inverser, l'âge venant, après le temps intermédiaire de l'incertitude.

Cette vision de la vie ne cherche donc pas à nous bercer d'illusions, n'essaye pas de trier le bon grain de l'ivraie. Hélas, il faut l'avouer, cette expérience me semble plutôt courante (d'ailleurs, ici, le pronom indéfini « on » est très souvent employé), mais elle est peu rendue en poésie, surtout dans un même parcours de lecture.

Le style de l'auteur, Charles Desailly, est on ne peut plus clair, même si les images sont très souvent présentes, ces deux caractéristiques rendant la lecture plus agréable.

La lecture agréable tient aussi au format des poèmes.

Là encore, bien que chaque texte contienne plutôt des versets que des vers, il en ressort une impression générale de brièveté. Car l'unité de valeur n'est pas ici le poème, mais plutôt la phrase qui le compose, celle-ci pouvant être facilement isolée des autres qui l'entourent.

Extrait de « On dirait que le temps tourne en rond », de Charles Desailly :

«    Les trous de repli sont des heures chargées de ciels noirs.
      Les trous nous signifient la fragilité du temps l'espace figé dans la membrane de l'absence.
      Un vieux rêve caresse l'ankylose de l'enveloppe.
    Par nuit traversée d'étoiles on aime l'idée du corps frissonnant les mots vont à l'épaisseur du manque à la fragilité des disparitions.
      Ce qui tombe dans le trou n'est que le reflet de nos vies faciles.
      Le silence sans voix nous protège du voyage programmé.
     Nos défaillances ressemblent à des terres brûlées et longtemps nous traînons à l'assaut des jours emmurés. »

L'illustration de couverture est d'Isabelle Clément.

Ce livre est préfacé par Jean Le Boël, qui rend compte des délibérations du jury des lycéens.

Pour en savoir plus sur « On dirait que le temps tourne en rond », de Charles Desailly, qui est vendu au prix de 10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.editionshenry.com/

"Guerres", de Laurent Robert


Il peut paraître incongru de prêter la forme du haïku, ce poème japonais en dix-sept syllabes, à la description des guerres, comme le fait ici Laurent Robert, dans ce recueil sobrement intitulé « Guerres » et qui est publié par « Le chasseur abstrait éditeur ».

En effet, dans le haïku classique, le poète cherche surtout à décrire l'immuabilité du cycle des quatre saisons.

Cependant, il n'en demeure pas moins que la guerre se joue au-dehors, donc, dans un décor marqué par la nature. Ici, le lecteur pense surtout au conflit de 14-18, d'autant plus que des fragments en anglais, qui émaillent les poèmes publiés ici devenant parfois presque bilingues, sont tirés d’œuvres de poètes ayant vécu la grande guerre (Wilfred Owen, Robert Graves).

De plus, dans sa brièveté, le haïku traduit la brièveté de la mort, et partant, l'horreur de la guerre.

Mais le texte de Laurent Robert ne se limite pas uniquement à ces moments de guerre. Dans son « Chant II », il parle aussi de sexualité, de ces instants de permission entre les guerres, dont le haïku traduit la brutalité. De l'amour comme une guerre presque, car il faut se dépêcher de vivre avant de mourir. Ici, c'est le poète autrichien, Georg Trakl, connu pour ses amours incestueuses avec sa sœur et son attirance pour la mort, qui prête ses fragments, parfois, aux poèmes.

De ce point de vue, le « Chant III » de « Guerres » semble opérer cette réunion de l'amour et de la mort au-dehors. C'est aussi le moment de retourner sur le front, lorsque le souvenir de l'aimée se dissout dans les machines de guerre.

Extraits de « Guerres » de Laurent Robert :

« 13.
Heureux les soldats
Who lose imagination
Au barda sans rêve

23.
Fatale pétoire
Browning F1903
FN de Herstal

38.
De toute façon
Il n'arrive jamais rien
Herbes dans la boue » (Chant I)

« 6
Entrer dans ton corps
S'y faire un chemin humide
Avant l'explosion


22.
Nestor Gianaclis
Ton haleine tabagique
Et bleue avalée

31.
Soupir des amants
Lamentation des non-nés
Einsame Wandeln » (Chant II)

" 6.
Le silence est rouge
Crépuscule des jacinthes
Pavots aux paupières

32.
Orphée au crayon
Dans la gadoue impérieuse
Pleure une âme morte

44.
Des fleuves brandis
Nuit de femme qui accouche
Sanies de l'aurore » (Chant III)

Pour en savoir plus sur « Guerres » de Laurent Robert, qui est vendu au prix de 14 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://lechasseurabstrait.com/

mercredi 3 mai 2017

"Le papillon rémanence", de Pierre Bastide



« Le papillon rémanence », de Pierre Bastide est un joli recueil de petit format publié par les éditions du Frau dans sa collection "Bêtes noires".

Comme souvent, dans les poèmes de Pierre Bastide, le jeu le dispute au merveilleux. Il s'agit ici de renouer avec le passé à l'aide de deux armes magiques : l'écriture bien sûr, et aussi l'image visuelle.

Cette dernière est obtenue à travers les illustrations (silhouettes découpées photographiées en noir et blanc) de Philippe Thémiot qui s’immiscent dans le poème, à moins que ce ne soit l'inverse.

Pourtant, il n'est pas certain que le merveilleux de l'enfance l'emporte sur le présent de l'adulte. Car ce dernier sait comme personne nous ramener à l'actualité de ses victimes, des morts violentes que le présent provoque. 

Ne pas voir ça, c'est faire preuve de mauvaise vue. L'auteur se le reproche et en fin de compte, il est plutôt certain que le papillon rémanence ne l'emportera pas, ou du moins, qu'il n'apportera pas les bonnes images, les bons fluides.

Dans « Le papillon rémanence », les vers libres ne provoquent pas l'alinéa. Ils sont simplement séparés par une barre de mesure et divisés en plusieurs « versets », ce qui donne au poème davantage de densité.

Extrait de « Le papillon rémanence », de Pierre Bastide :

« oh ce sang tout ce sang / une fusillade deux explosions / cent trente morts quatre cents blessés / tant ici tant et tant / si on refaisait l'inventaire / le raton laveur de Prévert revu à la lumière de l'effet papillon

tu te souviens de li fet met (prononcer li fête mette) / sur son lit d’hôpital ton père te dit li fet met tu sais ce que ça veut dire en arabe li fet met ? / le passé est mort ! / tu te souviens des parties de pêche avec ton père / c'est du passé / il est mort à présent

le papillon Rémanence danse / au bout de la ligne embrouillée il y a longtemps / il y a une rime / une virgule d'argent / forcément ».

Pour en savoir plus sur « Le papillon rémanence », de Pierre Bastide, illustré par Philippe Thémiot (dont le prix de vente est de 5 €), rendez-vous sur le site de l'éditeur : http:editions-du-frau.jimdo.com