samedi 24 octobre 2015

"L'envolée des libellules", de Cédric Landri


Il y a beaucoup de délicatesse dans ces poèmes de Cédric Landri, qui forment le cycle de "Les échanges de libellules", publié par les éditions de "La Porte". C'est presque une marque de style chez l'auteur. D'ailleurs, la délicatesse se retrouve même dans les élytres des libellules. 
Ici, il semble qu'il s'agisse d'un dialogue intime entre deux personnes formant un couple. Comme une musique de chambre composée, d'un côté avec les ustensiles (pas seulement de cuisine), parfois merveilleux du quotidien, et de l'autre, avec les instants domestiques qu'ils procurent.
Dans ces courts poèmes en vers, une prime est donnée à la lisibilité. Il y a aussi une chute dans chacun de ces textes, qui tiennent à la fois du haïku (sans en avoir la forme fixe) et de l'insolite.
Bref, avec "Les échanges de libellules", vous passerez un agréable moment de lecture, à ne pas vous prendre la tête, qui vous fera oublier que la poésie est une chose intimidante et un vecteur d'imagination.
Extrait de "Les échanges de libellules" :

"Un jour
les forces instables
s'inverseront
l'équilibre du déséquilibre
prendra une tournure
originale et cruelle
les repas se feront
avec les ailes

Peux-tu reformuler
pour un cerveau qui lambine ?

Dans quelques décennies
pour Noël
les dindes nous goberont."


Pour vous procurer ce recueil de Cédric Landri, vendu au prix de 3,80 €, vous pouvez écrire à l'éditeur : Yves Perrine, 215 rue Moïse Bodhuin 02000 Laon.

lundi 12 octobre 2015

"Un grisé cependant", de Line Szöllösi


La poésie de Line Szöllösi est délibérément lyrique, autant vous prévenir tout de suite. A mes yeux, c'est une qualité.
Détail amusant : dans ce recueil intitulé "Un grisé cependant", et que publie Jean-Pierre Lesieur en complément à sa revue "Comme en poésie", les poèmes (tous en vers libres) raccourcissent au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture du livre.
Le premier texte - "L'H" c'est celui de l'hortensia - se prolonge sur plusieurs pages. Quant aux autres textes, ils font une page, et à la fin, il y a deux poèmes par page. 
Ici, plus qu'ailleurs, la multiplicité des images visuelles vient de la multiplicité des mots employés. De ce point de vue, le titre du dernier poème de "Un grisé cependant" éclaire le reste du recueil, puisqu'il s'intitule "Éloge du vocabulaire".
La démonstration se vérifie particulièrement dans "L'h", dans lequel le mot hortensia appelle un monde entier. Il y a de la virtuosité là-dedans. Et aussi de la fantaisie, si ce n'est de l'humour. 
A lire ces textes, je me dis que Line Szöllösi cache sa sensibilité derrière ses pirouettes, et son ironie, épaulée par un sens aigu de l'observation, n'est pas pour me déplaire.  Car j'aime bien que le poème, reflet de nos états d'âme changeants, reflète également la diversité du monde.
Voici un poème extrait de "Un grisé cependant" :

"Le centre administratif

A découper suivant les pointillés
pour une remise en cause, je vins à ce chef-lieu
passée la forêt aux terres brûlées

découper
le cavalier seul, le pipe-line sur le bord du fleuve
les singes en liberté
et je fus taverne Flamingo
jouer au consul, vieux rêve de mescal

découper la seconde partie du jour
devant moi soudain le donia sur son alezan
et les bottes de cuir de l'homme qui l'escortait,
découper une sorte de balançoire mentale,
action répétitive, salutaire pour oublier

puis prendre un numéro de 1 à 100
à l'entrée, après le sas en plastique
découper la tête de l'employé
à moustache en forme de soutache
et le dossier bien mérité en main
découper la sous-préfecture
le bus du retour, méthodiquement
y compris les voyageurs
suivant fidèlement les pointillés
afin de supprimer les formulaires
et ce que trafiquent les registres
à l'abri de leurs grands ciels nuageux."


Pour commander "Un grisé cependant", de Line Szöllösi", vendu au prix de 6 €, rendez-vous sur le blog de la revue "Comme en poésie", http://comme.en.poesie.over-blog-com/

"J'avais quelque chose d'urgent à me dire", de Guy Chaty


"J'avais quelque chose d'urgent à me dire" est un livre de courtes proses de Guy Chaty, publié par les éditions Henry, dans sa collection "La main aux poètes".
Ici, la poésie réside dans les mises en situation, caractérisées par des dédoublements de personnalité de l'auteur, qui se voit vivre comme s'il était un autre. Ainsi, dans les textes de "J'avais quelque chose d'urgent à me dire", le je est bien présent, mais ce je clinique ne cherche pas à englober le monde. Il s'observe, tout simplement.
Cette observation tient parfois du cauchemar, parfois de la science-fiction.
Car Guy Chaty est en phase avec la science actuelle, et les situations qu'il décrit, si elles ne sont pas encore réelles à ce jour, le deviendront sans doute un jour. 
Les sentiments dominants suscités par ces proses sont d'abord la surprise, puis le malaise. Un malaise qui souvent se résout avec la fin du texte, dans sa chute (loin d'être toujours prévisible). Tout de même, une part de mystère subsiste toujours au delà des mots, choisis avec précision, ce qui ne les empêchent pas d'avoir une résonance.

Voici "Mon double" extrait de "J'avais quelque chose d'urgent à me dire" :

"J'ai un double. Nous avons chacun notre vie et nous retrouvons la nuit pour parler de notre cheminement.
Le jour, nous risquons peu de nous rencontrer car nous vivons dans deux univers presque parallèles. Une fois seulement, j'ai aperçu mon double. Dans une rue d'Istanbul. J'ai été sidéré, suis resté figé. Il était sur le pont près des mosquées, regardant le Bosphore. Je ne voulais pas lui parler, je me suis sauvé car il était indécent que nous ayons un contact sous la lumière du soleil.
La nuit, enfin, nous ouvre les bras."

Pour en savoir plus ou commander "J'avais quelque chose d'urgent à me dire" (avec une couverture d'Isabelle Clément), vendu au prix de 8 €, vous pouvez aller faire un tour sur le site des éditions Henry : http//www.editionshenry.com/

"A l'aurore de nos mains", de Sylvain Guillaumet


Ces courts poèmes en vers également courts de Sylvain Guillaumet, regroupés sous le titre de "A l'aurore de nos mains" (et publiés par les éditions Henry) se succèdent les uns des autres au fil des pages, sans que l'unité thématique soit ressentie comme une nécessité.
Je signale au passage que le poézine "Traction-brabant" en a publié quelques uns dans son numéro 64, dernier sorti à ce jour.
Dans ce cycle de poèmes, l'auteur cultive le sens du détail, mais aussi de l'insolite et de la rupture de ton, d'où naît la poésie.
Il y a comme des échardes, des arêtes au détour de ces vers concentrés.
Les images poétiques se font à la fois visuelles et auditives, ce qui est plus rare : 

"Que de soleil sur les murs blancs
que de nuit dans tes yeux


frappe
frappe
frappe

ce volet
contre la pierre de la vieille maison".

Sylvain Guillaumet parle des choses qui l'entourent comme s'il allait s'en saisir, comme on se saisit de la vie, en début de journée. C'est ce qui me semble exprimé dans le titre du livre : "A l'aurore de nos mains".
Et surtout, les images les plus belles se goûtent sans analyse : 

"Rouge du noir de tes yeux

le sang du jour
que je buvais à chaudes gorgées

dans le verre de nos mains".


Pour en savoir plus ou commander "A l'aurore de nos mains", vendu au prix de 8 €, (la couverture du livre est d'isabelle Clément), rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://www.editionshenry.com/

samedi 10 octobre 2015

"Fer cranté", de Christophe Lévis


Ce qui surprend et ce qui me plait dans "Fer cranté", c'est surtout la puissance d'écriture dont fait preuve Christophe Lévis.
Il est très rare de lire en poésie des textes qui ont la force d'un coup de poing. Cela me manque parfois, car je ne suis pas persuadé que la poésie doive être le royaume de la douceur (pas plus que le rock, par exemple)...
En voici un exemple :
"(dans les soubassements de l'hypocrisie
on déraisonne à tort
sur la contrefaçon
des sens
leurs subjectivités parviennent à nous faire croire
que les cimes s'atteignent un jour
dans l'arrachement
d'un grain de paix soyeux
dans la rotonde cerclée de feux
qui s'abîme sous tes ongles sanglants...)"

En apparence, les poèmes ici publiés évoqueraient plutôt une lutte à mort qui se poursuivrait indéfiniment dans des catacombes, outre-tombe même.
Mais en définitive, le lecteur s'aperçoit peu à peu que cet enfermement est symbolique et qu'il nous touche tous.
Ainsi, Christophe Lévis s'en prend surtout aux conventions sociales, qui nous empêchent de dire ce que nous pensons, et plus grave encore, d'être ce que nous sommes. Le supplice vécu serait donc celui de la tyrannie des apparences :

"(comment dire le mal
certains le font très bien
et parlent fort et acerbe

de petites piques sur ces langues fières

les cerbères dévissent
dévident
des pavés dans la mare

le canard est mort

ils viendront cracher
sur son corps
et marcher dans la merde
le sang et la mitraille
accrochés à ses ailes)"

A cet égard, la conclusion laisse l'espoir d'une rédemption, qui cette fois-ci encore, ne serait pas forcément d'outre-tombe :

"(Après que deviendrons-nous ?
Qui s'occupe de nos cendres, de nos galimatias ?
Qui pourfend la tonsure, qui pourfend cette horreur ?
Qui se lève un matin en préférant offrir plutôt que succomber ?
Nous sommes en chemin...)"

Pour vous procurer "Fer cranté", vendu au prix de 6,10 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur : http://encresvives.wix.com/michelcosem

La couverture du recueil est d'André Falsen.

"Sans", d'Estelle Fenzy


Cette suite de proses poétiques numérotées, composées d'un seul paragraphe ou de plusieurs (2 ou 3) de quelques phrases chacun, est appelée tout simplement "Sans".
Et pour cause : il s'agit de textes sur la perte d'un être aimé. Dès le numéro 6 de "Sans", ce dernier n'est plus en vie et il faut gérer son absence.
J'ai aimé lire "Sans", pour sa sobriété, qui est de mise mais qui ne va pas de soi.
Pour ses petits accidents de langage aussi, ces élisions, lorsqu'en plus de la personne, manquent les mots pour la rappeler. Comme, par exemple, dans ce texte :

"11

Revenir

Non pour lécher la blessure là où le coup ses saignements mais pour la montagne nourrice gigantesque les plis de sa robe mousse pierre aiguille

Plonger le nez dans le tissu rocheux retrouver cet avant l'érosion l'enfance pourra-t-elle reprendre et me porter encore d'une aube à l'autre"



Pour en savoir plus sur "Sans" d'Estelle Fenzy, vendu au prix de 3,80 €, vous pouvez écrire à son éditeur (La Porte) : Yves Perrine, 215 rue Moïse Bodhuin 02000 LAON.

"Le bar de Casino", de Jean-Marc Proust


"Le bar de Casino" de Jean-Marc Proust, publié dans la collection "La main aux poètes" des éditions Henry, n'est pas une pub (quoique !) pour une grande surface ni pour le jeu, mais plutôt un recueil d'aphorismes, qui prennent parfois la forme de courts poèmes.
Le moins que l'on puisse dire avec "Le bar de Casino", c'est que nous ne sommes pas dans l'illusion sur nous-mêmes, sur notre place dans le monde.
C'est bien le but des aphorismes que de remettre l'église au centre du village (l'église ce n'est pas nous-mêmes !).
Le lecteur ne peut tout de même pas s'empêcher de penser qu'il y aurait une beauté possible, quelque chose qui nous exalterait, y compris dans ces textes là !
Parfois, l'auteur nous surprend par sa hiérarchie des valeurs : "Que serions-nous sans le bavardage ? / Des ports asséchés / où rien ne s'embarquerait". Des fois, je rêverais bien, moi, d'être un port asséché.
Parfois aussi, souvent, on se sent d'accord avec Jean-Marc Proust : "Quand les regards ne s'attardent / plus sur vous, / il est facile de parler de sagesse. Or la sagesse c'est / le gros mot des vieux, / l'odeur d'enterrement".
Zut ! il arrive même qu'il y ait de la poésie (gros mot !) là-dedans : "J'ai toujours été un pauvre type parmi / mes soleils magnifiques".
Alors, là, ça devient vraiment trop grave...

Pour vous procurer "Le Bar de Casino", de Jean-Marc Proust (avec une couverture d'Isabelle Clément), vendu au prix de 8 €, rendez-vous sur le site des éditions (Henry) : http://www.editionshenry.com/

dimanche 4 octobre 2015

"Bastide", de Jacques Canut


Jacques Canut confectionne et fait imprimer lui-même ses carnets confidentiels, textes d'une dizaine de pages, qui se caractérisent par leur belle mise en page et illustrations de couvertures.
Avec le 46e opus de cette collection, intitulé "Bastide", qui désigne une ville occitane, l'observation des choses et des gens dans ce paradis ensoleillé qui est souvent le sud de la France, va dans le sens de la finitude difficile à admettre (et pour cause !) de la vie. Il reste au moins la douceur de vivre. Et l'imagination dans tout cela ? Comme écrit Jacques Canut, "N'aurait-on de délivrances que celles où l'imagination offre d'exceptionnels et intimes délires ?"
Je crois que oui effectivement.
Pour vous imprimer de l'ambiance de "Bastide", voici un court extrait de ce recueil : 
 
"Géraniums.
Certains avec leurs longues tiges
venaient cueillir le soleil d'arrière-saison
pour leurs ultimes fleurs.
D'autres, à peine replantés, se dissimulaient
dans l'ombre.
On les poussait contre un mur
pour qu'ils goûtent, tels des lézards,
une délicate quiétude
aux tièdes rayons de fin d'après-midi."
 
L'illustration de couverture est, cette fois-ci, un dessin de Thomas Lecoeur.
Pour vous procurer "Bastide", qui ne comporte pas de mention de prix, je n'ai à vous proposer que l'adresse postale de l'auteur, Jacques Canut, que vous pouvez me demander si vous êtes intéressés.

jeudi 1 octobre 2015

"Billets d'absence", de Jean-Jacques Nuel


Avec "Billets d'absence", publié à l'enseigne de ses éditions "Le pont du Change", Jean-Jacques Nuel continue de creuser la forme d'écriture qui lui est la plus chère, celle du texte court.
Il faut dire que l'auteur est vraiment passé maître en la matière, et on se demande effectivement pourquoi ses textes ne sont pas publiés par d'autres éditeurs. D'ailleurs, il est souvent question, dans "Billets d'absence", de cette infortune de l'écrivain qui reste méconnu, ou qui ne devient connu qu'une fois à peu près mort. 
Ce qu'il y a de bien, c'est que cette famille d'orphelins est très nombreuse.
Les textes que j'ai préférés, pour ma part et sauf exceptions, sont ceux qui s'éloignent du monde de l'écriture, qui ne constitue que l'un des thèmes de prédilection de "Billets d'absence".
Plus sûrement, le thème profond de ce livre me semble être le temps, ce que confirme le titre "Billets d'absence". En effet, le temps semble être devenu ici pleinement circulaire, à la fois anticipation et repentir de choses qui auraient pu se passer, qui ont pu se passer. Invention de choses qui ont déjà été trouvées. Comme de la science-fiction dépourvue de science-fiction qui semble nous dire : "ce que je vous prédis est déjà advenu et vous ne vous en êtes même pas rendus compte". 
Ainsi, bien que "Billets d'absence" ne soit pas un livre de poésie, à proprement parler, la poésie tient dans cette sorte de rêve éveillé continuel qui communique de l'un à l'autre fragment de temps.
La poésie est aussi, à mes yeux, dans le style qui dit ce qu'il a à dire, avec concision. Sans trop ni pas assez. D'un air détaché.

Voici, extrait de "Billets d'absence", "Antipodes":

"L'homme et la femme se tenaient en deux ponts diamétralement opposés de la terre. Lorsque l'un d'eux bougeait de quelques degrés vers l'est, l'autre se déplaçait d'autant et symétriquement vers l'ouest, comme si leurs deux corps étaient reliés par un axe invisible traversant le globe par son centre, et la distance entre eux restait constante. L'homme et la femme cherchaient tous deux l'âme sœur et s'épuisaient dans cette quête impossible."


Pour en savoir plus ou commander "Billets d'absence", vendu au prix de 12 €, rendez-vous sur le site de l'éditeur, "Le pont du change" : http://www.lepontduchange.fr