jeudi 30 mai 2013

"Carnet retrouvé sur un cadavre", de Kevor Lewandowski


 
Voilà un texte qui chie bien. C'est tellement évident que les littérateurs les plus ordinaires ne vont guère s'en préoccuper, préférant les trucs plus léchés.

Seulement voilà, la vie, ce n'est hélas pas que de la littérature. Et même pour écrire sur du papier blanc, il faut avoir du sang dans les veines, et aussi des nerfs plus qu'à l'accoutumée, voire des viscères contrariées...

Ce recueil se présente comme une sorte de journal écrit par un célibataire incurable qui, à force d'être seul et mal dans sa peau au sein de ce monde d'ailleurs fort antipathique, va finir par être sauvé du suicide in extremis par une bonne mort bien nulle.

Il s'agit donc d'un résumé de sa dernière période de survie la plus noire, comme l'indique d'ailleurs explicitement le titre.

Aucun mystère là-dedans. On est ici plongé dans le désespoir noir et absolu, trash même, sans pardon pour l'indifférence des gens raisonnables, qui est justement la seule chose vraiment impardonnable en ce bas monde.

Je ne pourrai même pas dire du mal de l'auteur de "Carnet retrouvé sur cadavre", alors qu'il est mort sans héritier ! Car ce carnet, écrit dans l'urgence de l'ennui, recèle un paquet de formules chocs à ressortir pour les grandes occasions (libations occasionnelles, fêtes de famille ennuyeuses etc), telles que :

"La peur de me rater m'éloigne des rails"

"Je suis l'homme qui dans le monde a acheté le plus de fois le même exemplaire de Radical Hystery des Thugs"

"Si je me préparais un petit dîner aux chandelles. Une petite fête. Un préambule romantique pour ma 10000e branlette"

"Ce sont les plus optimistes qui sont les plus aptes au suicide"

"En crever de ne pas pouvoir se nourrir d'une régénératrice tendresse"

"L'idiote petite euphorie"

Si vous souhaitez en savoir plus sur ce recueil (vendu au prix de 9,5 €), c'est ici : http://www.lamachinefolle.com/

samedi 25 mai 2013

"Courts métrages", de Jean-Jacques Nuel



Elles sont toutes très réussies les petites histoires racontées par Jean-Jacques Nuel dans ses "Courts métrages".
Petites histoires ? Oui, petites par la taille, mais pas par le contenu. Car souvent, toute une vie s'y trouve résumée.
A ce propos, je ne voudrais pas que le lecteur ne retienne des textes de ce recueil que la pirouette, voire la chute, se situant à la fin de ceux-ci. ça ne serait pas très intéressant, si ce n'était pas plutôt inquiétant, en résumé.
Il y aurait bien un peu de beaucoup d'écrivains du 20e siècle dans ces "Courts métrages". Un peu de Buzzati, par exemple. Mais on reste toujours dans l'équilibre le plus parfait : pas trop de tristesse, pas trop de gaieté. Et après la pirouette, après la chute, rien n'est résolu, finalement. Inutile de chercher si c'était mieux avant ou après la fin. Vous n'aurez aucune certitude.
C'est peut-être ça la vraie caractéristique de cette écriture. Franchement, je ne sais pas pourquoi elle ne rencontre pas plus de succès. J'oubliais de le dire d'ailleurs tellement c'est une évidence : c'est parfaitement écrit, jamais rien de trop, rien de pas assez. L'adéquation entre fond et forme est totale. La tradition française, quoi !...
Un exemple pour une première découverte de ce livre :

"LE PASSAGE DU TEMPS

Entre l'avenue du 11 novembre 1918 et la rue du 8 mai 1945, on pouvait emprunter un passage couvert, étroit, bordé de cafés et de boutiques anciennes, qui s'appelait passage du temps. L'origine de ce nom était mal connue ; certains historiens l'expliquaient par la présence au dix-septième siècle de nombreuses horlogeries, depuis longtemps disparues. Ce n'était qu'une hypothèse, parmi d'autres. Le passage constituait un raccourci pour aller de l'Hôtel de Ville au Musée des Beaux-Arts, mais invariablement, en traversant cette galerie animée et encombrée, on perdait plus de temps que si l'on avait fait le grand tour."

Pour en savoir plus sur ce livre, disponible au prix de 12 €, allez faire un tour sur le blog de l'éditeur, Le Pont du Change, 161 rue Paul Bert 69003 LYON, http://lepontduchange.hautetfort.com/ 

jeudi 23 mai 2013

"N" de Philippe Jaffeux


Autant le dire d'emblée et pour être franc, "N" n'est pas un texte facile à lire car son contenu et surtout sa densité sont inhabituels, même dans un domaine comme celui de la poésie.
Ce qui frappe d'abord, c'est l'identité visuelle des textes qui composent "N". Cette identité visuelle repose sur une généralisation de plusieurs contraintes d'écriture, à partir de la contrainte-racine de l'existence des 26 lettres de l'alphabet, de A à Z, en passant par N.
Je veux ici me limiter à une description de ces aspects formels visibles du lecteur "pressé" : 26 textes pour chacune des 26 lettres de l'alphabet, donc ici, pour N, quatorzième lettre de l'alphabet : 26 carrés de 14 cm de côté (196 cm1 de superficie) qui contiennent 196 lettres n dont chacune des apparitions est décalée.
Ainsi, chaque lettre a ses spécificités. Par exemple, si le "O" engendre des poèmes en cercle, le "N" donne naissance à des exposants n qui se multiplient au fur et à mesure de la progression des 26 textes. On voit également très nettement une variation dans les interlettrages à l'intérieur d'une phrase.
Vous me direz à présent : où est la poésie là-dedans ? Toutes ces contraintes paraissent très lourdes... Ou bien, de tels principes d'écriture, c'est tout simplement anti-lyrique !
Je vous répondrai que ce n'est pas si évident que cela. Tout d'abord, les contraintes de langage ne concernent en priorité que leur auteur. C'est de la cuisine interne. Libre au lecteur de l'étudier ou pas. De plus, et c'est bien connu, les contraintes peuvent être étonnamment créatrices pour l'imagination de l'auteur et... du lecteur !
Ainsi, cette mise en page sophistiquée de "N" n'aboutit pas ici à une étude sur le langage, pas plus d'ailleurs que sur une étude du genre humain. Le sujet de "N", c'est bel et bien la contrainte elle-même. Et plus précisément, le décompte des chiffres constitutifs du poème, la géométrie de ce dernier. Et voilà où est la force de ce recueil (je pourrai dire la même chose des autres lettres non publiées ici) : dans la quasi-infinité de ces variations sur un thème a priori impossible à traiter.
En fait, Philippe Jaffeux, quand il écrit, se situe dans l'éternel présent. Il n'y a pas de continuité logique entre les phrases qui peuvent tout à fait être générées dans le désordre par une machine programmée à cet effet. L'auteur ne fait que décrire poétiquement ses contraintes arithmétiques, comme s'il imprimait de nouveaux objets avec une imprimante en 3D. Ses phrases, en même temps, sonnent comme des sentences prophétiques. Et c'est là que la poésie intervient, puisque l'auteur nous fait découvrir de nouveaux mondes imaginaires, qui présentent les mêmes caractéristiques spatiales que celles du monde visible directement, et qui sont la traduction d'une activité cérébrale ininterrompue.
Et là, du coup, la poésie de Philippe Jaffeux s'éclaire et révèle sa véritable originalité par rapport à ce qui est publié aujourd'hui.
Quelques exemples de phrases reproduites au hasard sans souci de leur typographie (page W de N):

"La levée de trente trois lignes de front défend un bouclier rectangulaire avant de se réconcilier avec la position inattaquable"
"Un ordinateur idéal approfondit la pression d'une page qui rejaillit sur la mystérieuse pratique d'un chiffre fluide"
"L'élan concentrique de trente deux nerfs ricoche sur vingt-six muscles prêts à plonger sous l'énième fuite d'un alphabet décentré"
"Je ponctue mon élévation tragique vers le sourire d'un abécédaire pour esquisser ma quatorzième chute sur un vide burlesque"
"Un rectangle vide se heurte à la mesure interlinéaire d'un carré si je protège la plénitude d'un mouvement géométrique"
"Je ralentis l'essence d'un quatorzième accident car un bloc de pages explosives gonfle le vide d'un moteur emballé".


Pour en savoir plus sur ce livre disponible au prix de 14 €, rendez vous sur le site de l'auteur, http:///www.philippejaffeux.com/ ou écrire à l'éditeur Passage d'encres éditions - Moulin de Quilio 56310 GUERN.

mercredi 22 mai 2013

"Les nuages", de Pierre Anselmet



Deuxième recueil publié par Pierre Anselmet dans la collection Polder de la revue Décharge, après "Les nerfs sauvages" en 2010, "Les nuages" confirment la valeur de l'écriture de son auteur, qui n'a que 25 ans, notamment à travers la mise en équilibre entre lyrisme exprimé et réalité décrite.
Avec ce recueil, il me semble que le lecteur doive intérioriser les références autobiographiques qu'il contient et plus particulièrement les rapports difficiles entretenus avec la mère de l'auteur, pour se soucier de plus important pour lui, à savoir l'émotion débordante exprimée par ces poèmes.
Pour mieux la cerner, j'ai envie de me référer à la musique. A chacun ses références. Celle qui me vient à l'esprit en lisant "Les nuages", c'est le saxophone d'Albert Ayler quand, échappé du free-jazz, il redécouvre la musique traditionnelle, c'est à dire aussi ses racines, à travers ses improvisions claires qui s'étirent dans le temps, comme pour l'éternité.
Donc, l'émotion peut être noire, mais elle peut être aussi source de joie. Ici, la poésie de révolte se fait poésie d'observation, comme une éclaircie après l'averse (le plus difficile est de passer à travers). Ainsi, le recueil est composé essentiellement d'une galerie de portraits féminins entrecoupés de plusieurs "poésies d'amour", comme un exercice que l'auteur s'oblige à mener à bien, au milieu de ce monde de brutes, et qui constitue à lui seul une réussite.
Et le style de Pierre Anselmet, clé de cette réussite, se caractérise par sa fluidité musicale, par son oralité aussi parfois (mise en vers de dialogues, recours à des expressions familières), et enfin par le recours à des images suprenantes qui court-circuitent le texte.
Bref, une vraie poésie vivante qui ne cherche pas à planquer l'origine de ses émotions dans un langage trop littéraire ou abstrait. En résumé, la poésie que je préfère, car elle me paraît être la seule susceptible d'intéresser un lecteur qui ne serait pas un spécialiste du genre poétique... D'où sa supériorité d'évocation...

Un exemple pour la route :

"Je suis le fils de ma chienne

Je suis le fils de ma chienne, l'enfant baveux de mon plus cher esclave. Je suis infiniment nu, et né jusqu'à la gueule, ça chique, et c'est taillé comme un bonsaï que je ressors des mains de celles qui me savourent un temps, me goûtent, puis se font vomir de honte et de tristesse, et aussi par jeu. Je suis et mon esprit n'est pas à l'heure de mes genoux, n'est pas plus présent ni plus exact que mon foie que cette gale qui me ronge et me donne l’heure et me rappelle que j'ai un corps. Nous sommes pour toujours avant d'être là, c'est-à-dire bientôt maintenant. Et personne ne peut dire qu'il n'a jamais été enfant. Alors on subit on devient on respire,
sans trop savoir pourquoi on croque dans le mistral et puis on se tait, même si ça ne veut pas dire grand-chose. Je suis on peut être à tous les temps mais ça n'a rien d'une évidence."
  
Pour en savoir plus sur ce recueil, disponible au prix de 6 €, contact : http://www.dechargelarevue.com/ 

lundi 20 mai 2013

"Corps de femme", de Sylvain Guillaumet



Un "Corps de femme" ce n'est pas forcément ce que nous imaginons. Le récit d'une histoire d'amour, au sens premier du terme, dans laquelle la femme serait tout pour nous. La femme mais rien que la femme, et tant qu'à faire, une seule femme.
Non, ici, avec ce recueil publié par Sylvain Guillaumet, la surprise est totale. Nous pensons goûter à la chaleur de la peau de la bien-aimée à la belle saison. Et voilà que nous sommes plongés dans la nature, souvent désertée par les hommes, dans ce monde des choses inanimées, qui parfois, peuvent nous devenir hostiles.
De là à dire que "Corps de femme" est un recueil panthéiste, il n'y a qu'un pas.
En tout cas, pendant que nous sommes dans les références, il y aurait bien ici un peu de romantisme allemand. Cette poursuite éperdue de ce qui n'est finalement que l'épaisseur des choses.
L'écriture de Sylvain Guillaumet, très riche d'images et en même temps précise, surprend par la variété de ses visions.
En voilà deux exemples :

"Ton front

crosse le jour
chien-loup la nuit

il veille sur toi

parfois
sans que tu le saches
un fantassin du désir
dans les fossés de la nuit

tombe

son fusil
sous le bras

son harpon
dans le coeur
crosse le jour
chien-loup la nuit

il veille sur nous aussi

vaillants petits soldats
ayant pour toi

déserté notre partie"

Ou bien, encore :

"Soleil complice

sur un chemin
tu te promènes

insouciante
lointaine

sans voir
derrière toi

glisser
dans les cailloux
dans les ronces

une fileuse noire".

Il me semble que nous sommes ici assez loin d'une histoire d'amour conventionnelle et ça, ça me plait ! Cependant, comme le précise l'auteur en 4e de couverture, il s'agit d'une lettre d'amour.
Mention spéciale pour la mise en page de ce recueil par les éditions Musimot que j'ai beaucoup aimée, par sa sobriété (vrai blanc, photos noir et blanc).

Pour en savoir plus sur ce recueil vendu au prix de 10 €, allez faire un tour sur le site des éditions Musimot, http://musimot.e-monsite.com/

mercredi 1 mai 2013

Guide Audace


Cela m'arrive rarement de chroniquer un livre qui n'est pas un recueil de poésie. Mais celui-ci n'est pas tout à fait comme les autres livres, y compris quand ils ne sont pas poétiques.
Il s'agit d'un guide répertoriant les principaux éditeurs de langue française. D'où son nom : Guide A l'Usage Des Auteurs Cherchant un Editeur" (AUDACE).
Concocté par Roger Gaillard de l'association l'Oie Plate (l'Observatoire Indépendant de l'Edition Pour Les Auteurs Très Exigeants), ce livre représente un travail colossal de recherche et de mise à jour, puisqu'il regroupe les 1120 fiches d'éditeurs, avec toutes les précisions sur leur identité, ce qu'ils éditent (poésie, romans, nouvelles...), comment ils l'éditent (à compte d'éditeur, à compte d'auteur), et enfin comment ils trouvent les auteurs qu'ils éditent.
Bref, tout ce dont a besoin l'auteur inexpérimenté ou même bien expérimenté pour tenter des manœuvres d'approche afin d'être édité.
La préface de ce livre, très fournie, rappelle également les caractéristiques du secteur de l'édition, ainsi que les différents types de contrats d'édition.
L'association "L'Oie plate" a d'ailleurs non seulement un rôle de conseil auprès des auteurs, mais également auprès des éditeurs qui le souhaitent.
Bref, ce livre, qui s'adresse plus particulièrement à ceux qui l'écrivent, peut leur éviter bien des déconvenues, même si par certains côtés, il est plus déprimant que bien des recueils de poésie contemporaine, car ici, vous abordez le monde anti-poétique par excellence. Celui des sous.
Le piège essentiel est celui du compte d'auteur, ce contrat selon lequel, pour être édité, l'auteur doit payer beaucoup (il paye le salaire de l'éditeur aussi !). Bien sûr, il s'agit d'une grosse arnaque. Mais les nuances existent à ce sujet. Elles vous sont expliquées dans chaque fiche en détail. Ainsi, après avoir lu ce livre, vous agirez nécessairement en connaissance de cause, si vous décidez de contacter un éditeur à compte d'auteur.
Personnellement, je n'ai à dire que du bien concernant ce guide Audace. Par contre, en lisant les fiches d'éditeurs, j'ai déploré que les poésies engagées, ou qui se situent dans le prolongement direct du surréalisme, ne trouvent pas beaucoup chaussures à leur pied.
Dans bien des cas, le type des textes recherché par les éditeurs me semble aussi trop restreint. Trop précis deviendrait-il donc synonyme de trop bon ?
Et si finalement, derrière toutes ces exigences difficiles à expliquer, il n'y avait pas qu'un seul texte valable, pour les micro-éditeurs comme pour les grands : celui qui se vend (un peu) ?...
Quelque chose qui me hérisse aussi : si les critères d'édition suivants, tels que des "publications en revues" (PR) ou "Publications antérieures" (PA) me paraissent tout ce qu'il y a de plus justifié, celui des "connaissances-relations" (CR) est pour moi une hérésie, au moins dans le monde que je connais, celui de la petite édition. Il n'a qu'un seul mérite : celui de la franchise.
Je ne critique pas bien entendu la typologie qui en est faite dans ce livre, mais la réalité de l'édition. A quoi sert un éditeur qui publie les auteurs parce qu'il les connaît, je veux dire personnellement ?
Faudra me l'expliquer...
C'est pour moi un signe évident d'injustice. Je ne prêche pas pour ma chapelle, mais pour celle de certains auteurs que j'ai pu publier dans "Traction-brabant" (ou que je lis par ailleurs, toujours en revues) et qui restent à la porte de chez ces hautains éditeurs, préférant rester dans l'entre-soi. Quelle belle preuve de démocratie dans le monde idéal de l'esprit ! Quelle belle ouverture d'esprit d'intellectuels ! Quelle belle preuve de curiosité ! Félicitations !
Je sais qu'il y a trop d'auteurs et pas assez d'éditeurs, mais l'autarcie ne me semble pas être la solution.
La solution, je la connais bien un peu : que les auteurs créent leurs propres éditions, qu'ils s'auto-éditent, ce qui peut revenir au même. Pourquoi pas, d'ailleurs ?

En tout cas, je vous engage à lire ce guide. Pour en savoir plus, vous pouvez aller sur le site http://www.loieplate.com/ : ce livre de 620 pages environ est vendu au prix de 59 €.